Faits de société

Oui, moi aussi.

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Je ne pensais pas publier ici dans le cadre de la campagne #metoo / #balancetonporc. J’ai relayé sur Facebook parce que je suis concernée (nous le sommes toutes hélas !!!) mais je n’ai donné aucun détail. Je raconte l’histoire assez librement de vive voix, mais je n’ai jamais voulu l’écrire noir sur blanc. Et puis, au détour de Twitter, un témoignage m’a sauté à la figure : « Mon oncle m’a violée avec son doigt quand j’avais cinq ans. »

Vous n’imaginez peut-être pas ce que ces mots m’ont fait. Parce que ça fait des années que je minimise ce que j’ai vécu. Des années que je me refuse à employer le mot « viol », que j’ai un peu honte d’étaler mon traumatisme alors que, bon, c’était « juste » ses doigts, quoi. Pourtant, dans le même temps, je suis la première à clamer que dès qu’il y a pénétration, par quelque moyen que ce soit, il y a viol. Alors pourquoi est-ce que j’ai toujours soigneusement fait cette séparation dans ma tête entre les « vraies » victimes et moi ?

Déjà, commençons par le commencement. J’avais sept ans, il en avait 14, c’était un copain de mon frère en vacances à la maison. Il m’a pris par la main et il m’a dit qu’on allait jouer au papa et à la maman. Ce matin-là, il faisait beau, je portais une chemise de nuit, je me souviens des reflets du soleil sur le canapé où il m’a allongée.

Et c’est à peu près tout ce dont je me souviens, parce que c’est sur ce genre de détails que l’esprit se fixe quand il se détache du corps pour ne pas voir ce qui est en train de se passer. On appelle ça de la dissociation et, pour l’instant, je n’ai encore jamais eu le courage d’aller voir ce qui s’est passé ensuite, même si je connais une excellente hypnothérapeute.

Mais j’ai presque envie de dire peu importe parce que, ce qui m’intéresse ici, c’est d’analyser pourquoi j’ai toujours minimisé ce qui m’est arrivé.

Sur le moment, je n’ai absolument rien dit à mes parents. Je serais bien incapable de dire s’il me l’a interdit, s’il m’a menacée ou si c’est juste un mécanisme de défense interne. Toujours est-il que j’ai enfoui ça au fond de moi, jusqu’à ce que ça m’explose à la figure à la puberté. C’est là que des bribes de souvenirs, quelques mots, des images surtout, sont remontés à la surface.

Je n’ai rien dit. J’avais terriblement honte. Je ne sais pas pourquoi c’est tellement ancré en nous, ce genre de réaction, mais j’avais l’impression que c’était ma faute. Oui, la faute d’une petite fille de 7 ans. Mais j’avais la rage aussi. La rage qu’on se soit servi de mon corps comme d’un vulgaire Kleenex. La rage qu’on m’ait traitée comme un objet. Et cette rage, je l’ai retournée contre moi. Je me suis haïe de toutes mes forces.

Mais je n’en ai parlé à personne, et surtout pas à mes parents. J’en étais absolument incapable. C’était inenvisageable. La souffrance me bouffait de l’intérieur, mais je ne pouvais rien dire. Jusqu’au jour où je suis partie aux Etats-Unis. J’ai passé trois jours dans le désert, chez une chaman, qui a immédiatement vu clair en moi et qui ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je crache le morceau. Moi qui pleurais beaucoup et facilement, ce jour-là, j’ai pleuré comme je n’avais jamais pleuré de ma vie. Une vraie libération.

Mais je me rends compte que j’ai tout de suite minimisé l’histoire. Voilà, c’était pas vraiment un viol, juste les errements d’un ado en pleine puberté. Oui, oui, je suis allée jusqu’à lui trouver des excuses !

Je suis rentrée en France. J’avais 22 ans. Je me disais que j’allais pouvoir vivre avec ça, vivre avec cette histoire. Alors j’en ai parlé à ma mère. Qui m’a répondu que si ça ne m’était pas arrivé, j’aurais eu une vie très différente. J’aurais peut-être couché avec des garçons très tôt (mode sarcasme on : vous imaginez l’horreur ?) au lieu d’attendre mes 21 ans et mon premier amour. (Quelques mois avant de rencontrer ce premier amour, un copain qui me raccompagnait en voiture m’a dit qu’il avait l’impression que je tenais les hommes à distance. Sans déconner ?) Bref, résumé de ma discussion avec ma mère : « C’est bien comme ça, sinon tu n’aurais pas la vie que tu as aujourd’hui. » Après ça, je ne me suis plus demandé pourquoi je ne lui en avais pas parlé avant.

Je mentirais en disant qu’on n’a plus jamais abordé le sujet, mais je me suis fait jeter à chaque fois. Dans ma famille, ça a toujours été traité, au pire, comme un sujet tabou, au « mieux », comme un non-événement. Je me souviens d’une discussion un jour avec mes parents, quelques mois avant la mort de ma mère, où j’avais l’impression qu’ils se demandaient pourquoi j’en faisais encore tout un plat.

Peut-être parce que je n’ai jamais été entendue, en tout cas par eux ?

C’est peut-être pour ça que j’ai toujours minimisé ce qui m’est arrivé, pour atténuer la violence du rejet.

Mais j’ai pris conscience ce matin sur Twitter qu’il n’y a pas de « vraies » victimes et puis moi, ou vous. Il y a des victimes, point. Quelque soit la forme que prend l’agression, verbale ou physique, il y a atteinte à notre intégrité. Et il en découle un traumatisme avec lequel nous devons toutes apprendre à vivre.

Il faut arrêter de minimiser nos expériences, notre ressenti, notre vécu.

Mes parents, ça les dérangeait que je parle de ce viol.

Et on sent bien, à lire les réactions sur Twitter, que tous ces témoignages dérangent.

Mais il était temps que la parole se libère.

Il était temps qu’elle vienne briser le silence assourdissant de ceux qui devraient ou qui auraient dû nous soutenir.

Illustration trouvée sur Pinterest.

 

27 commentaires sur “Oui, moi aussi.

  1. Wow, Isa, j’ai envie de te serrer très fort dans mes bras là, à la fois comme réconfort maternel, comme soutien de femme à femme, comme remerciement d’oser raconter cet évènement ici.
    Je te souhaite vraiment de tout cœur de réussir à apaiser cette douleur qui semble encore tellement vive ! Et je parle autant de la douleur que la petite fille que tu étais a probablement ressenti quand ça s’est passé, que de la douleur de ne pas avoir été entendue comme tu en aurais eu besoin.

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    1. Merci Axelle ❤ Tu sais, je crois que l'événement en lui-même ne me fait plus souffrir, j'ai travaillé là-dessus, ce qui fait mal, c'est le reste. L'idée que des gens que j'aime ont participé à la création de ce silence pesant qui nous oppresse et qui voudrait nous faire croire qu'il n'y a pas de problème ou que le problème vient de nous. Ce qui se passe depuis quelques jours me laisse à la fois sceptique et pleine d'espoir (oui, c'est contradictoire) : d'un côté, je me dis que rien ne va changer, de l'autre je me surprends à penser que rien ne sera plus jamais pareil. Quoi qu'il arrive, je ne me tairai plus, ça, c'est sûr.

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    1. Ça me fait surtout prendre conscience qu’il faudrait que je parle à mon père – ma mère n’est plus là. Mais là, pour le coup, il va vraiment me falloir du courage. Merci pour ton commentaire, moi aussi je t’embrasse.

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  2. Merci pour votre témoignage qui tord les tripes et qui a dû demander beaucoup de courage.

    J’espère que vous trouvez beaucoup de douceur au quotidien auprès de vos proches.
    Que vous trouvez du réconfort à vous dire que vous êtes à l’écoute de vos enfants.
    Que vous puisez de la force dans la certitude que celui qui vous a traitée comme un objet ne vous a pas détruite, pas plus que ceux qui ont rejeté votre souffrance ; vous avez réussi à vous construire et vous êtes une adulte qui cherche à irradier la bienveillance. Vous pouvez en être fière.

    Je vous envoie tout mon soutien et mon amitié (oui, bon on se connaît pas, n’empêche !)

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    1. Je pense que c’est une expérience dont on guérit mais qui laisse une cicatrice à vie, effectivement. Et ça fait mal de voir à quel point cette expérience est partagée par un très grand nombre de femmes (et d’hommes aussi, parfois, ne les oublions pas). J’espère vraiment que l’affaire Weinstein et les événements de ces derniers jours vont bousculer l’ordre établi car il faut absolument que ça change.

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  3. Je ne sais pas ce qui me choque le plus : les actes de ce gamin ou la manière dont tes parents ont (non) réagi… J’ai envie de prendre la petite fille que tu étais dans mes bras pour la rassurer… je pense à ma propre fille…
    Et sinon, justement hier soir, nous parlions de « ça » à la maison… à quel moment, à partir de quel(s) acte(s) est-on une victime ? quel(s) mot(s), quel(s) geste(s), venant de qui ?
    C’est terrible en fait…
    Bisous Isa ❤

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    1. Merci pour la petite fille que j’étais… et je comprends tout à fait ta réaction, ce n’est pas pour rien si j’ai fait une dépression à la naissance de ma fille…
      Je pense sincèrement qu’on est une victime à partir du moment où il y a agression, qu’elle soit physique ou morale. Après, la justice a besoin de déterminer différents degrés de violence pour pouvoir punir les actes et leurs auteurs (quand elle veut bien faire son boulot). Mais l’importance du traumatisme peut varier selon les personnes et leur ressenti… Mais oui, c’est terrible. Et, comme je le disais plus haut, il faut que notre société évolue.
      Bisous ❤

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  4. je pense très fort à toi. Tes parents n’ont pas entendu peut être pour que leurs propres blessures ou angoisses ne remontent pas. En ce jour où la parole se libère c’est très douloureux pour toi, ose parler et affronter ce traumatisme vers une personne compétente pour comprendre.
    je t’embrasse 3 fois

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    1. Je me suis souvent demandé ce qu’avait vécu ma mère pour nier le problème à ce point-là. Je ne le saurais jamais, mais ça m’aide à relativiser, un peu. Comme je disais plus haut, ce serait bien que je parle à mon père…
      Pour le reste, je me suis reconstruite au fil du temps, notamment grâce à une thérapie qui a duré deux ans et demi. C’est important de demander de l’aide, j’en avais besoin en tout cas.
      Moi aussi je t’embrasse !

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  5. T’as jamais eu envie de le retrouver pour lui cracher ta colère au visage ? Qu’il prenne conscience que ça t’a détruite…moi ça m’énerve parce qu’il a sûrement classé ça dans un coin de sa tête et c’est tout, mais toi dans tout ça ?

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    1. Moi, je me suis reconstruite. Mais effectivement, parfois je me dis que j’aimerais le retrouver pour lui parler. Cela étant, je ne sais pas si je supporterais de savoir que ça n’a sans doute eu aucune importance pour lui….

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        1. Je comprends. Tu n’imagines pas comme mon sang peut bouillir quand je vois certaines réactions. (Tu sais que certains essaient d’inverser la tendance et de lancer un hashtag « balance ta truie » ?) Mais ma priorité c’est d’éduquer, pour que les choses changent vraiment et que nous puissions toutes, demain, nous balader librement – et vivre, tout simplement – sans redouter une agression.

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  6. Ton témoignage est très émouvant, juste et pudique. Et il est bouleversant parce que tu étai si petite !
    Oui il est temps que la parole se libère.
    J’ai été impliquée dans le procès d’un célèbre gynécologue, un ponte de la procréation médicalement assistée – j’ai témoigné chez les flics et au procès – je n’en ai jamais parlé – enfin je n’ai jamais rien écrit sur le sujet – et je crois que je ne le ferai pas – Armalité a partagé un très bon article sur sa page FB hier.
    C’est donc un sujet qui me touche, tant la société, la culture a brouillé les notions de culpabilité, d’acceptable – de consentement – c’est très très dur pour les femmes et l’omerta est terrible. J’ai déjà entendu d’autres femmes dire « elle n’avait qu’à lui caller une bonne baffe » parce que c’est encore à la femme de se défendre, de prendre ses responsabilités et les hommes ne seraient que de grands enfants qui ne cherchent qu’à s’amuser un peu.
    J’ai mis du temps mais j’ai tourné la page et j’ai fait en sorte pour m’en sortir de ne pas me positionner en victime (là il faudrait 100 pages pour expliquer) ….
    Alors voila que de façon bien différente, nos parcours se rejoignent à nouveau un peu.
    Des bises

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  7. Je me rends compte que je suis un peu froide et que je manque un peu d’empathie et j’en suis désolée mais j’ai bricolé mon petit système et il est parfois un peu bancal.
    Mais je voulais dire aussi que sans minimiser les actes des agresseurs – le principal, la victoire en quelque sorte c’est ton cheminement pour te reconstruire et pour devenir cette belle personne que tu es devenue, même par blogs interposés il y a quelque chose de radieux en toi.
    J’ai pensé au film « Wild » en lisant ton témoignage.
    Et finalement, je te dirais merci

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  8. Ne t’inquiète pas, je n’ai pas du tout senti un manque d’empathie, au contraire. Et je te remercie pour tout ce que tu me dis là. Dans l’ensemble, je suis entièrement d’accord avec toi, et notamment sur le fait que c’est encore à la femme de se défendre. Je me suis fait la même réflexion l’autre jour : j’en ai ras-le-bol de remuer la merde. Mais s’il faut en passer par là pour éveiller quelques consciences et alimenter le débat, je continuerai à le faire, parce qu’il faut vraiment que ça change. Tu sais, je crois qu’on fait toutes notre part, à notre manière. L’expérience que tu évoques ici est bouleversante, et je trouve admirable que tu sois allée jusqu’au bout de ta démarche. J’espère que cela t’a aidée à te reconstruire.
    Moi aussi je t’embrasse.

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  9. Je découvre ton témoignage Isa et déjà BRAVO d’avoir pu poser ces mots. je suis de celles qui pensent qu’il est primordial de partager notre vécu, parce que ça aide d’autres à le faire et parce que de tels comportements sont inacceptables et dangereux, si on ne les qualifie pas pour ce qu’ils sont.
    Je ne sais pas pourquoi on minimise. Comme si il y avait de vraies victimes et des moins importantes. N’est-ce pas un peu la société ou la justice, qui voudrait des preuves tangibles, plus que des mots. Je me pose des questions.
    Quand je parle de ce sujet avec ma grand-mère, 93 ans, elle minimise elle aussi, elle dit souvent « à l’époque toutes les filles vivaient ça une ou plusieurs fois dans leur vie, regarde on n’en est pas mortes ». J’avoue que ça me glace.
    Et d’un autre côté je suis contente qu’à l’école ils en parlent dès le primaire, parfois avant, pour que les enfants sachent que leur corps c’est leur corps et que personne n’a le droit d’investir leur territoire sans leur accord.
    Merci à toi pour ces maux posés là.

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