Faits de société

J’ai mal à mon féminisme

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Je ne pensais pas écrire tout un billet sur le sujet, j’envisageais simplement de lancer un mini coup de gueule dans les prochains états d’esprit du vendredi. Malgré ma légitime indignation, j’avais envie de traiter la tribune publiée dans le Monde mardi dernier avec le mépris qu’il convient. Je ne voulais pas donner encore plus d’importance à ces femmes qui défendent une soi-disant liberté d’importuner et qui parlent de baisers volés comme s’il s’agissait d’un acte tellement romantique. (Je vous fais grâce de la misère sexuelle des frotteurs dans le métro, d’autres que moi ont déjà répondu avec tout le sarcasme que cela mérite.)

Seulement voilà, ces femmes n’en sont pas à leur coup d’essai et multiplient les déclarations polémiques. En décembre dernier, Catherine Millet déclarait déjà sur France Inter : « Je regrette beaucoup de ne pas avoir été violée parce que je pourrais témoigner que du viol on s’en sort. » Si, si, je vous assure, écoutez plutôt. (Et pour te répondre directement, Catherine, c’est justement le fait que quelqu’un se soit approprié mon corps qui me pose problème. Nous ne sommes pas des objets. Le jour où un homme te traitera comme tel, on en reparlera. Et on verra si ta conscience s’en sort si bien que ça elle aussi. La souillure d’un viol marque l’esprit autant que le corps, et l’esprit met bien plus longtemps à guérir, lui !)

Puis, hier, Brigitte Lahaie a eu le bon goût de déclarer sur BFM TV que l’on « peut jouir lors d’un viol ». Là encore, il faut le voir pour le croire. On notera au passage le ton culpabilisant du discours qui sous-entend que nous sommes des victimes parce que nous le voulons bien et parce que nous éduquons nos filles comme de futures victimes. Déjà, il faudra qu’on m’explique en quoi « la puissance de [notre] corps et [notre] capacité à jouir » pourraient décourager l’homme qui a décidé de nous violer. « Ah non, mec, tu peux pas me toucher parce que je respecte la puissance de mon corps et ma capacité à jouir. » Ah ah, le mec, je l’entends rigoler d’ici, tiens. Mais bon, il faut comprendre cette chère Brigitte, tout le monde pense déjà qu’un viol, c’est la faute de la victime, alors elle en rajoute une couche.

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Par contre, j’avoue, l’argument de la jouissance pendant un viol, on me l’avait encore jamais sorti. Mais ça revient à dire, si on décortique le propos, que le « non » du départ, on s’en fout ! Personne ne veut l’entendre, ce « non ». La société ne tolère pas ce « non ». L’injonction sous-jacente, c’est « vous êtes des objets de désir, soumettez-vous comme tels à la toute-puissance masculine, car l’homme sait mieux que vous ce qui est bon pour vous. » Dire que l’on peut jouir pendant un viol, dans le fond, ça vient après le baiser volé, ça relève d’une certaine logique dans la pensée de ces femmes. Je vous rassure, ce n’est pas du tout la mienne. Et je compte bien me servir de l’exemple des baisers volés au cinéma pour expliquer à ma fille et à mon fils que « non », c’est « non ». (Il me suffira de leur montrer Star Wars et Indiana Jones, par exemple.)

Cela étant, j’ai un problème avec la réaction que la tribune des 100 a suscitée dans mon propre camp, à savoir celui des féministes. Hier soir, j’ai été invitée à rejoindre un groupe Facebook créé par des femmes qui s’apprêtent à publier un droit de réponse. Je n’ai pas signé le texte en question. Il est parfait, pourtant. Mais les hommes cis n’ont pas eu le droit de le signer, et ça me pose problème.

On ne peut pas, d’un côté, dénoncer le silence assourdissant des hommes au moment de #metoo ou pendant la dernière cérémonie des Golden Globes et, de l’autre, les exclure d’un si nécessaire droit de réponse. J’ai l’impression qu’en faisant cela, on tombe droit dans le piège tendu par les femmes signataires de la tribune du Monde. Elles auront beau jeu, après ça, de nous reprocher une certaine haine des hommes. Elles se trompent pourtant ; nous ne partons pas en guerre contre les hommes, mais contre une société patriarcale et sexiste qui doit nécessairement changer pour permettre à chacun-e de s’épanouir sans distinction de genre ou de race. Or cette société ne pourra se construire qu’ensemble, quels que soient notre sexe, nos origines et notre orientation sexuelle.

J’ai lu, dans les débats qui ont agité le groupe, que les hommes cis sont des alliés, pas plus. Moi, je ne veux pas qu’ils ne soient que des alliés, je veux qu’ils soient aussi des acteurs de ce changement. Oui, c’est compliqué, oui, je me heurte au mansplaining, à la condescendance et à l’indifférence. Oui, bien sûr, je suis révoltée. Peut-être que mon compagnon a raison et que, pour une partie de notre génération, c’est déjà foutu. (Et je ne parle même pas de celles qui nous précèdent.) Mais je veux croire qu’il est possible d’éveiller les consciences et je continuerai d’éduquer mes enfants dans ce sens pour que le rêve d’une société non sexiste et non raciste devienne une réalité. Et pour que plus jamais on ne vienne nous dire à la télé ou à la radio que le respect et l’intégrité de notre corps n’ont aucune importance.

EDIT DU SAMEDI 13 JANVIER 2018 : le texte dont je vous parle ci-dessus est consultable sur ce blog et peut désormais être signé par les hommes cis. Personnellement, je me réjouis de cette démarche et j’ai donc ajouté ma signature.

Illustrations trouvées sur Pinterest.

20 commentaires sur “J’ai mal à mon féminisme

  1. Quand bien même le corps d’une femme la trollerait avec une jouissance pendant le viol, ça n’en resterait pas moins un viol. Brigitte Lahaie est à côté de ses pompes. Parce qu’il y a un postulat de départ qu’elle oublie : la sexualité, ça se partage, et un frotteur qui s’impose à une femme n’est pas dans la sexualité, quelle que soit la réaction de cette femme, qu’elle lui flanque une gifle ou qu’elle se fasse toute petite sans l’arrêter parce qu’elle est tétanisée. Il n’y a pas de partage dans ce genre de geste, pas plus que dans le viol.
    Et comme toi, je trouve dommage qu’on aille exclure des hommes d’un droit de réponse. ils sont partie prenante de la chose et eux aussi peuvent vouloir que ça change. Ce n’est pas les femmes contre les hommes. Ces sont des êtres humains contre les violences, quel que soit le degré de cette violence.

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  2. J’avoue être outrée par ce manifeste. Vouloir donner le droit aux hommes de nous importuner… par définition,importuner une personne c’est atteindre sa liberté, la déranger, empiéter sur son territoire….De quel droit ces dames voudraient qu’on accepte d’être importunées ?
    Madame Lahaie qui dit que les femmes qui se sentent mal face à une homme qui se masturbe devant elles ou les frotteurs, c’est parce qu’elles sont mal à l’aise avec leur sexualité… Ah bon ?! Je pesais plutôt que c’était ces hommes qui avaient des comportements inappropriés dans un espace public, mais finalement, c’est ma faute si je suis gênée dans cette situation ?! Non mais on marche sur la tête !
    On est assez intelligente pour faire la différence entre de la drague (aussi lourde ou maladroite soit-elle) et des agressions.
    Ces dames qui vivent dans un monde privilégié ne doivent jamais prendre les transports en commun, ne connaissent personne dont la vie a été détruite suite à viol…. Leurs propos sont une honte. Il n’a jamais été question d’haïr les hommes ou de les mettre tous dans le même panier. Heureusement, la majorité d’entre eux se comporte bien !
    Quant à la jouissance durant un viol, je l’ai déjà entendu, et c’est tout à fait possible. Mais c’est tout à fait mécanique et n’a aucun rapport avec un quelconque plaisir (qui est forcément inexistant dans le cas d’un viol).
    Bref, on n’a pas le cul sorti des ronces….

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    1. Oui, on marche sur la tête et on n’est pas sorti des ronces… Mais cette tribune a au moins eu le mérite de faire réagir même les moins féministes de mes connaissances. Depuis #metoo, j’ai l’impression que beaucoup plus de gens sont conscients qu’il y a là un vrai problème de société. Bref, je veux croire qu’on avance petit à petit.

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  3. Cette tribune était révoltante et les propos de Brigitte Lahaie au sujet du viol étaient absolument gerbants sachant que l’orgasme est un mécanisme biologique et n’a rien de « romantique ».
    Par contre, là ou je suis en léger désaccord c’est concernant la participation des hommes. Il y a des hommes qui ont pris des initiatives concernant cette tribune, par exemple il y a une pétition qui circule contre le droit d’importuner des femmes et qui a été ouverte par un homme. Cependant, on ne peut pas reprocher à certaines initiatives d’exclure les hommes car ils bénéficient de plus de visibilité: par exemple quand une femme est féministe, elle passe souvent pour une misandre castratrice et quand c’est le cas d’un homme, il est applaudit et félicité.

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    1. J’entends bien et je suis parfaitement consciente de ce problème de visibilité et de cette différence de traitement. C’est injuste et ça me révolte. Mais honnêtement j’ai beau y réfléchir, je n’arrive pas à voir en quoi la signature des hommes pose problème dans ce cas précis. Ils ne tirent pas la couverture à eux, ils veulent juste nous apporter leur soutien. Et je trouve ça bien qu’on fasse front commun contre cette prétendue liberté d’importuner (l’expression m’énerve à chaque fois !!!).

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  4. Ton texte est parfait – ta réponse implacable – sans vouloir tomber dans l’injure cette Brigitte doit avoir un QI inversement proportionnel à sa libido et sa capacité à jouir dans toutes les situations. Je n’avais pas lu/entendu ce passage mais c’est hallucinant de connerie et d’idiotie et ….. les mots me manquent .
    Je ne sais pas si tu l’as déjà regardé mais le discours d’Oprah Winfrey était brillant : je te le conseille, ça console des inepties et autres discours insultants pour toutes les femmes agressées sexuellement.

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  5. Franchement ça fait tellement de bien de voir les réactions qu’il y a eu sur la blogosphère, y compris parfois sur des blogs qui ne parlent jamais ou peu de féminisme d’habitude ! Merci pour ton article

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  6. Hello ! Je me permets d’intervenir pour la question de jouissance ou de plaisir lors d’un viol.

    Ce qui est aberrant avec cette phrase, c’est qu’elle vient d’une méconnaissance extrême. Oui, on peut ressentir du plaisir lors d’un viol, mais cela est seulement physiologique, une conséquence du corps, et cela n’a rien à avoir avec le CONSENTEMENT. Et c’est d’autant plus atroce pour la victime, à qui on va sortir ça comme argument pour avantager le violeur — s’il y a procès. Que ce soit sous effet de drogue, ou en mécanisme de défense, ça peut arriver, mais dévaloriser le viol à cause de ça, bon dieu.

    L’impact est horrible. Par exemple, si on veut violer un homme, et que son corps réagit — notamment par la masturbation —, on rentre dans le même genre de gros souci « le corps dit oui, donc ton esprit aussi ». Elles ont utilisé de la désinformation, et encore, je ne crois pas qu’elles sachent elles-même comment ça fonctionne.

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