
Je ne vais pas vous faire l’affront de vous présenter Anne Shirley une troisième fois ; à ce stade, vous savez déjà tout le bien que je pense de cette petite orpheline rousse aux yeux gris qu’on voit grandir au fil des livres qui racontent son histoire. Le premier tome, Anne de Green Gables, nous décrit son arrivée à Avonlea, son adoption par Matthew et Marilla Cuthbert et la manière dont elle se fait une place – et de nombreux amis – dans leur communauté. Le deuxième, Anne d’Avonlea, évoque ses premières responsabilités, la voilà qui devient institutrice à seize ans et qui joue les grandes sœurs de substitution, sans oublier de rapprocher un couple d’amants qui se fait la tête depuis longtemps, toujours dans le cadre enchanteur d’un charmant village canadien.
Dans Anne de Redmond, notre héroïne part à l’université. Elle va s’y épanouir dans une incroyable petite maison pittoresque qu’elle partage avec trois amies très proches et la vieille tante de l’une d’elles. Comme toujours chez Lucy Maud Montgomery, c’est frais, joyeux et poétique. Mais ces quatre années d’études s’accompagnent d’une belle réflexion sur le passage de l’enfance à l’âge adulte et du rêve à la réalité. Contrairement à ce qu’Anne s’était imaginée, les premières demandes en mariage qu’elle reçoit sont hyper pragmatiques et pas du tout romantiques. Alors, elle se réfugie dans une version idéalisée de l’amour et manque de passer à côté de celui qu’elle aime vraiment. Il faut dire que c’est effrayant de grandir, car cela signifie laisser partir sa meilleure amie qui se marie, dire au revoir à une ancienne camarade de classe qui décède tragiquement et accepter de faire évoluer sa relation avec celui qu’elle considérait jusqu’alors comme un ami. Que de deuils et de bouleversements !
Si les deux premiers tomes étaient déjà des coups de cœur, je crois bien que celui-ci est mon préféré (pour l’instant), car il est empreint d’une nostalgie douce-amère qui résonne profondément en moi. Je ne sais pas, si je l’avais lu enfant ou même jeune adulte, si j’aurais compris cet aspect-là du roman. Je me serais sûrement impatientée davantage vis-à-vis d’Anne (« mais enfin, réveille-toi, tu l’aimes, ça crève les yeux »), alors qu’avec le recul, je me demande si l’autrice n’essaie pas de dire à son héroïne : « Prends ton temps, profite ! Profite de ta liberté, profite de cette complicité insouciante avec tes amies, profite de cette vie sans (trop de) responsabilités, vis pour toi, réalise-toi, fais des projets pour toi. » Je me suis même demandé si l’histoire d’amour ne relevait pas davantage d’une convention littéraire (pour donner aux lecteurs et lectrices de l’époque ce qu’ils attendaient) que d’une réelle volonté de rapprocher ces deux personnages. Le féminisme de Lucy Maud Montgomery est aussi doux et subtil que sa plume, mais il est bien présent et me va droit au cœur.
Vous comprendrez donc aisément pourquoi j’ai hâte de voir comment la merveilleuse Anne va continuer de mûrir et d’avancer dans la vie. La bonne nouvelle, c’est que j’ai déjà le tome 4, Anne de Windy Willows. Mais je devrai patienter un peu pour la sortie du tome 5, prévue au mois de juin. J’en profite pour remercier les éditions Monsieur Toussaint Louverture qui se surpassent à chaque volume en nous proposant des illustrations de couverture toujours plus belles, ce que dès le 2e tome je n’aurais pas cru possible. Je signale au passage que les trois premiers volumes de la série sont vendus dans un magnifique coffret orange, coffret qui est aussi vendu vide sur le site de l’éditeur pour celles et ceux qui, comme moi, précommandent chaque tome dès qu’il est annoncé. Je sais que je vous l’écris à chaque fois, mais ces choses-là méritent d’être répétées : ces nouvelles éditions sont de véritables bijoux et la traduction est toujours très soignée. Avis aux collectionneurs et collectionneuses !
Cette lecture me permet de valider une des catégories du Cold Winter Challenge 2021, « Forêt enneigée », dans le menu « Marcher dans la neige ». Il fallait lire un ouvrage parlant d’animaux, d’écologie et/ou de « nature-writing ». J’ai pris ce dernier terme au sens large et j’ai choisi de classer Anne de Redmond dans cette catégorie pour ces merveilleuses descriptions de paysages et de nature dont Lucy Maud Montgomery a le secret !
Ça a l’air très prometteur ! Donc pourquoi pas !
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