Instantanés

Brèves d’Avignon #2

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Samedi, en partant d’Avignon, au moment de franchir les remparts, j’ai de nouveau croisé ce vieux couple qui m’avait impressionnée, fin novembre, par son élégance et sa tendresse. Lui, je l’ai tout de suite reconnu, grand et droit malgré le déambulateur. Mais elle, ça m’a fait un choc, je me suis demandé un instant si c’était bien la même personne. A voir la façon dont elle s’accrochait au bras de son compagnon, le doute n’était pas permis. Mais ce n’était plus cette vieille dame toute pimpante qui avait pris soin d’assortir son bonnet, son manteau et ses chaussures (je me souviens, ça m’avait marquée, j’avais eu l’impression de me voir, 30 ou 40 ans dans le futur). Je l’ai trouvée encore plus petite et fragile que la première fois et surtout concentrée sur sa marche plutôt que son amoureux, comme si chaque pas était un effort. Quant à sa tenue, elle était pratique et sans doute confortable, mais pas du tout inspirée, comme si son énergie ce jour-là était réservée à cette sortie au détriment de sa coquetterie.

Fin novembre, l’émotion qu’ils dégageaient tous les deux créait autour d’eux une bulle d’intemporalité qui m’avait fait dire qu’un couple d’amoureux, c’est beau à tout âge. Ce week-end, la bulle a volé en éclats, et j’ai vu des amants qui luttaient contre le temps. Ça ne veut pas dire qu’au-delà de l’effort et de la concentration, ils n’étaient pas heureux de sortir ensemble dans cette ville magnifique qu’est Avignon. Mais je me suis demandé ce que l’on éprouve, mentalement et émotionnellement, lorsque le déclin physique vous fait comprendre que la vie et le temps vous glissent entre les doigts.

Pour l’instant, je n’ai pas peur de vieillir parce que j’ai l’impression de toujours tendre vers du mieux. En dépit des épreuves et des années parfois bien pourries, la somme de mes expériences débouche sur un résultat positif. Ainsi, je peux affirmer, à l’aube de mes 40 ans, que je ne me suis jamais sentie aussi bien dans mon corps (merci le yoga), dans ma tête (merci la méditation) et dans mon cœur (merci l’amour). Pour autant, je n’ai pas l’impression d’avoir atteint un pic de plénitude au-delà duquel m’attend une lente dégringolade, non, je continue à penser qu’au-delà du pic actuel il y en a encore un autre, qui sera encore mieux. Ce n’est même pas que je le pense, d’ailleurs, c’est une sensation indéfinissable, comme une espèce de certitude.

Je me demande si cette sensation me quittera un jour et, si oui, à quel moment. Quand chaque pas sera devenu un effort ? Quand j’aurai perdu le goût et l’envie de prendre soin de mon apparence ? Quand je ne pourrai plus lire ? Je l’ignore, mais j’aime à croire que, lorsque j’aurai franchi tous les pics, quand la vie n’aura plus de « mieux » à m’offrir, je tournerai mon insatiable curiosité vers la mort et ce qui m’attend au-delà (là aussi, une certitude absolue) et je quitterai mon corps avec, sur les lèvres, un sourire et la devise d’Elizabeth Gilbert : Onward ! (En avant !)

Photo trouvée sur Pinterest.

7 commentaires sur “Brèves d’Avignon #2

  1. Je me pose de temps en temps la question, je sais que je vieillis et j’espère rester active longtemps – contrairement mon à papa qui est le contre-exemple type. J’espère par contre que le jour où je ne me sens plus bien, la mort viendra vite, ou qu’il y aura moyen de l’accélérer d’une manière décente. C’est une question compliquée, ça touche notamment à l’euthanasie mais aussi au suicide que je préférerais éviter. C’est tabou comme sujet – j’imagine que certaines personnes âgées se suicident et préféreraient une autre solution, mais personne n’en parle.

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    1. Ça reste effectivement un sujet tabou alors qu’on devrait être libre de choisir sa sortie quand la fin de vie devient trop douloureuse et/ou trop pénible. Je me demande effectivement combien de personnes âgées se suicident « en catimini » au lieu de pouvoir partir dignement, entourées de leur famille ou de leurs ami-e-s le cas échéant.

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  2. Tu sais ce qui est plus que chouette? C’est quand on est dans un bus, qu’on a hâte de rentrer chez soi, et qu’une petite notification nous annonce que tu as mis un petit billet en ligne. Après, le trajet passe plus vite !

    Le sujet que tu as abordé me « travaille » depuis quelques mois. Depuis mon dernier anniversaire en fait. Jamais je n’ai fait cas de mon âge. Ni de celui des autres. Je continuais de vivre avec insouciance. Et surtout j’ai beaucoup d’amis qui approchent de leurs 70 ans, et qui fourmillent de projets, d’envies, qui sont joyeux… et c’est un bon exemple. Et puis un jour, soudain, j’ai pensé que dans tant d’années j’aurai 60 ans moi aussi. 60 ans… Moi. 60 ans. J’espère en tout cas 😀. Et soudain j’ai vu ce que je rêvais de faire depuis toujours et que je remettais au lendemain. J’ai soudain vu le temps que je gaspillais à faire des choses insignifiantes, ou qui ne me plaisaient pas, avec des gens toxiques… j’ai soudain compris que je n’étais pas immortelle. J’ai vu des amies qui en vieillissant sont devenues limite acariâtres et je me suis demandé si moi aussi j’allais devenir comme ça. Comme si c’était une fatalité. C’est une grande remise en question à laquelle je ne m’attendais pas du tout. A laquelle je n’étais pas préparée. Avec beaucoup d’angoisses. Une chose positive en a d’abord découlé : j’utilise mieux mon temps. On a le temps de tout faire, a dit Sénèque, le temps est notre trésor, mais on le gaspille bêtement. Je n’ai pas peur de vieillir parce que ça ne servirait à rien. Ma peur c’est de m’aigrir, de ne pas vouloir explorer des choses nouvelles, de râler tout le temps, de me plaindre de mes vieux os. Je sens qu’au fil des ans, je me suis de plus en plus respectée et assumée, et même s’il y a eu une ou deux anicroches, ensuite, comme dans un éclair, je voyais clairement ce que je voulais de la vie, et que l’amour de la vie, si on le choie (vraiment, si on l’entoure de soins attentifs et constants, d’affection, de tendresse vive comme dit le dictionnaire), il ne nous quitte plus, il faut l’attiser sans cesse, il faut accepter qu’il connaisse des hauts et des bas. Il nous fait aller de l’avant même si le bout du chemin existe. Je crois que cette flamme de vie a une éternelle jeunesse. J’ai arrêté de me lancer mon âge à la figure. Je pense au Temps. Je n’essaye ni de le ralentir, ni de l’accélérer, mais de m’y inscrire, de le respecter voire de le ressentir. J’ai passé une journée entière au Jardin des plantes en avril, sur un banc, sans livre, juste à regarder le ciel, les arbres, les promeneurs, les oiseaux, juste pour être là, pour sentir le temps me traverser, m’en enrichir, m’en faire un allié. Je ne vois pas la vie comme une suite de pics de plénitude suivis de la déchéance assurée. Je vois plus cela comme une trajectoire toute droite! 🤣 Je ressens plus un dépouillement, dans le bon sens du terme, que plus ça va, plus nos envies et nos goûts se cisèlent, plus ce qu’on est apparaît, comme si le temps nous sculptait, et nous révélait notre vrai visage. Il faut lire les pages admirables de Montaigne sur le sujet: comme lui je voudrais que la Mort me trouve plantant mes choux! C’est complexe, on ne peut pas tout contrôler, mais si on a comme objectif, comme disent les Anglais, de vieillir gracieusement, on a de grandes chances d’y arriver ! Je te le souhaite !

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    1. Merci du compliment 😉 Moi aussi, je suis toujours ravie de voir que tu m’as laissé un commentaire ❤

      Comme toi, j'aime beaucoup cette expression anglaise, et c'est bien mon objectif, vieillir gracieusement. Car il y a dans cette idée de grâce la notion du lâcher-prise et de l'acceptation et le fait d'accompagner ce processus de vieillissement au lieu de lui résister. Je n'ai pas envie de résister à quelque chose d'inéluctable et de pas forcément négatif, comme tu le soulignes si bien en parlant de tes ami-e-s. (Et je peux te dire que mon père, à 78 ans, doit encore pouvoir battre ses petits-enfants à la course, et même à plates coutures ! Tu as raison, ce genre d'exemple, ça aide !)

      Comme toujours, je suis fascinée par ce que tu décris, les expériences que tu partages, les philosophes que tu cites. (Il va peut-être falloir que je me mette à jardiner ! ^^) Je suis fascinée aussi de voir comme notre conception de la vie peut être à la fois semblable et différente. A chaque fois, tu me donnes à réfléchir, alors merci 😀

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  3. Je crois qu’on peut garder cette vitalité, cet élan très longtemps bien même quand le corps flanche, même quand le quotidien se ralentit et se complique. J’ai beaucoup d’exemples autour de moi, c’est un état d’esprit que tu sembles avoir ! Après à chaque âge, il y a des hauts et des bas qui varient. Très joli texte….

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    1. Merci ❤ C'est vrai qu'avec le recul je me dis que la vérité d'un jour n'est pas forcément celle du lendemain, cette dame ne traversait peut-être qu'un petit passage à vide, si ça tombe elle va beaucoup mieux aujourd'hui ! Comme tu dis, c'est un état d'esprit.

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